Dans le port claquent les haubans;
De tous les bords hurlent les vents;
Des goélands volent au loin;
Sur un des quais, je tiens ta main.
Contemple, aimée, ma dévotion !
Ce n'est point celle des passions :
Ayant bouté les nuits câlines,
Son lit meut l'Etendue divine.
Vois, les amarres soudain, lasses
D'ici-bas, de céder menacent !
Elles craquent ! Les romps, ça y est,
La hache de la Liberté !
Loin de notre humanité rogue,
La voile de mon âme vogue
Au sein d'une mer d'abandon
Qui n'a plus aucun horizon !
Depuis des plages d'allégresses,
Saisis-tu donc l'immense liesse
Qu'est de danser sur cette houle
Loin des tumultes de la foule ?
J'ai soif de ces lames d'ailleurs
Où navigue, ma chère sœur,
Aux flots des Univers épars,
Seule la nef des vieux quasars !
La vague monte et puis descend,
Je la suis ! Mais ne la pourfend
De mon sillage faisant corps
Avec l'Elément, sans effort !
L'Inconnu, aux formes girondes,
M'offre sa poitrine bien ronde
Qui m'allaite, doux lait stellaire,
D'un bon breuvage de Lumière !
Mais foin des vains préliminaires
Où la caresse prude a l’air
D’égrainer un saint chapelet,
A ma proue, de rostre je n’ai,
Mais chevelure et barbe brune,
Une figure de Neptune
Dont l'ample fuscine de fer
Reluit par mille et un éclairs !
Des Mondes dénués de centre
J'en pénètre le profond ventre !
Et mon étrave là-bas baigne
Le Mystère qui, du Beau, saigne !
J'engendre la paix à venir !
J'engrosse, sans de vains soupirs,
Cette Harmonie dont les enfants
Ne crient ni "papa" ! Ni "maman" !
Je deviens cette Création,
Océan n'ayant bord, ni fond !
Et je vois, debout sur ma hune,
Celui qui fit Soleils et Lunes !
Mes manoeuvres n'ont plus de marge !
Mon amie ! Sens l'embrun du large !
Son sel, la Foi, est la chimie
Qu'instille en nos cœurs l'Infini !
Sur ces ressacs qui se déchaînent,
La chair ne m'est plus une gêne !
Le compas des notions s'affole !
Nul nord n'indique ma boussole !
Je suis du Rien le grand énarque !
Je suis du Tout l'heureux navarque !
Capitaine de ce long cours
Qui est le véritable Amour !
Hélas ! Je t'aperçois, pensive,
Demeurant toujours sur la rive.
Toi, qui cherches à former couple,
Sans savoir que tel Don s'accouple,
Baiser de l'atome à l'Esprit,
Avec l'Eternité inouïe
D'une Onde aux voluptés fervides
Que brassent les reflux du Vide !
Quand tu dresses encor les mats
De la Beauté, ce, malgré la
Tempête des années qui passe
Et, comme le bec d'un rapace,
Flétrit nos peaux dessous leurs nues !
Et quoique, fièrement tendue,
La carène de tes atours
Ait devant elle de beaux jours !
Il te faudra bien, tôt ou tard,
Hissant ta "vieillesse étendard"
Au bout d'une drisse d'ennui,
A la dérive de l'envie,
Pilotant un semblant d'esquif
En proie au premier des récifs,
Pourtant, en marge de toute île,
Fuir à jamais ton ponton vil...
L'existence n'est que l'échouage
"D'êtres épaves" qui naufragent !
Tout choix, dessus les eaux des leurres,
Qu'un gouvernail que meut l'erreur !
Le "Je timonier", qu'un fantôme
Se glorifiant du titre d'homme !
Quant à nos caps, restent-ils autres
Qu'une errance où chacun se vautre ?
Ma suave et tendre goélette
Dont le gréement me met en fête
Lorsque je surprends, de ton âge
Mûr, le brillant accastillage,
N'aie crainte ! Car je te conjure
De croire qu'existe, havre sûr,
En l'Espérance et ses Açores,
Une Vie qui vainquit la mort !
Alors, ce jour où, pour de bon
Sonnera l'heure du plongeon
Parmi l'ondoiement de l'Oubli,
Sache que, d'en-haut, un ami,
Nocher d'Espaces parallèles,
Prendra ta main, et sous son aile,
Te guidera, d'un léger vol,
Vers le Bonheur en ses atolls !
Ecrit le vingt Avril de l'an 2008,
à Bandol