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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 04:06
Athée ? entendons-nous, prêtre, une fois pour toutes. 
M'espionner, guetter mon âme, être aux écoutes, 
Regarder par le trou de la serrure au fond 
De mon esprit, chercher jusqu'où mes doutes vont, 
Questionner l'enfer, consulter son registre 
De police, à travers son soupirail sinistre, 
Pour voir ce que je nie ou bien ce que je croi, 
Ne prends pas cette peine inutile. Ma foi 
Est simple, et je la dis. J'aime la clarté franche : 

S'il s'agit d'un bonhomme à longue barbe blanche, 
D'une espèce de pape ou d'empereur, assis 
Sur un trône qu'on nomme au théâtre un châssis, 
Dans la nuée, ayant un oiseau sur sa tête, 
Au droite un archange, à sa gauche un prophète, 
Entre ses bras son fils pâle et percé de clous, 
Un et triple, écoutant des harpes, Dieu jaloux, 
Dieu vengeur, que Garasse enregistre, qu'annote 
L'abbé Pluche en Sorbonne et qu'approuve Nonotte ; 
S'il s'agit de ce Dieu que constate Trublet, 
Dieu foulant aux pieds ceux que Moïse accablait, 
Sacrant tous les bandits royaux dans leurs repaires, 
Punissant les enfants pour la faute des pères, 
Arrêtant le soleil à l'heure où le soir riait, 
Au risque de casser le grand ressort tout net, 
Dieu mauvais géographe et mauvais astronome, 
Contrefaçon immense et petite de l'homme, 
En colère, et faisant la moue au genre humain, 
Comme un Père Duchêne un grand sabre à la main ; 
Dieu qui volontiers damne et rarement pardonne, 
Qui sur un passe-droit consulte une madone, 
Dieu qui dans son ciel bleu se donne le devoir 
D'imiter nos défauts et le luxe d'avoir 
Des fléaux, comme on a des chiens ; qui trouble l'ordre, 
Lâche sur nous Nemrod et Cyrus, nous fait mordre 
Par Cambyse, et nous jette aux jambes Attila, 
Prêtre, oui, je suis athée à ce vieux bon Dieu-là. 

Mais s'il s'agit de l'être absolu qui condense 
Là-haut tout l'idéal dans toute l'évidence, 
Par qui, manifestant l'unité de la loi, 
L'univers peut, ainsi que l'homme, dire : Moi ; 
De l'être dont je sens l'âme au fond de mon âme, 
De l'être qui me parle à voix basse, et réclame 
Sans cesse pour le vrai contre le faux, parmi 
Les instincts dont le flot nous submerge à demi ; 
S'il s'agit du témoin dont ma pensée obscure 
A parfois la caresse et parfois la piqûre 
Selon qu'en moi, montant au bien, tombant au mal, 
Je sens l'esprit grandir ou croître l'animal ; 
S'il s'agit du prodige immanent qu'on sent vivre 
Plus que nous ne vivons, et dont notre âme est ivre 
Toutes les fois qu'elle est sublime, et qu'elle va, 
Où s'envola Socrate, où Jésus arriva, 
Pour le juste, le vrai, le beau, droit au martyre, 
Toutes les fois qu'au gouffre un grand devoir l'attire, 
Toutes les fois qu'elle est dans l'orage alcyon, 
Toutes les fois qu'elle a l'auguste ambition 
D'aller, à travers l'ombre infâme qu'elle abhorre 
Et de l'autre côté des nuits, trouver l'aurore ; 
O prêtre, s'il s'agit de ce quelqu'un profond 
Que les religions ne font ni ne défont, 
Que nous devinons bon et que nous sentons sage, 
Qui n'a pas de contour, qui n'a pas de visage, 
Et pas de fils, ayant plus de paternité 
Et plus d'amour que n'a de lumière l'été ; 
S'il s'agit de ce vaste inconnu que ne nomme, 
N'explique et ne commente aucun Deutéronome, 
Qu'aucun Calmet ne peut lire en aucun Esdras, 
Que l'enfant dans sa crèche et les morts dans leurs draps, 
Distinguent vaguement d'en bas comme une cime, 
Très-Haut qui n'est mangeable en aucun pain azime, 
Qui parce que deux cœurs s'aiment, n'est point fâché, 
Et qui voit la nature où tu vois le péché ; 
S'il s'agit de ce Tout vertigineux des êtres 
Qui parle par là voix des éléments, sans prêtres, 
Sans bibles, point charnel et point officiel, 
Qui pour livre a l'abîme et pour temple le ciel, 
Loi, Vie, Ame, invisible à force d'être énorme, 
Impalpable à ce point qu'en dehors de la forme 
Des choses que dissipe un souffle aérien, 
On l'aperçoit dans tout sans le saisir dans rien ; 
S'il s'agit du suprême Immuable, solstice 
De la raison, du droit, du bien, de la justice, 
En équilibre avec l'infini, maintenant, 
Autrefois, aujourd'hui, demain, toujours, donnant 
Aux soleils la durée, aux cœurs la patience, 
Qui, clarté hors de nous, est en nous conscience ; 
Si c'est de ce Dieu-là qu'il s'agit, de celui 
Qui toujours dans l'aurore et dans la tombe a lui, 
Etant ce qui commence et ce qui recommence ; 
S'il s'agit du principe éternel, simple, immense, 
Qui pense puisqu'il est, qui de tout est le lieu, 
Et que, faute d'un nom plus grand, j'appelle Dieu, 
Alors tout change, alors nos esprits se retournent, 
Le tien vers la nuit, gouffre et cloaque où séjournent 
Les rires, les néants, sinistre vision, 
Et le mien vers le jour, sainte affirmation, 
Hymne, éblouissement de mon âme enchantée ; 
Et c'est moi le croyant, prêtre, et c'est toi l'athée.
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